Jean Albert Grégoire est né à Paris le 7 juillet 1899. C’est à la fois la tête et les jambes. Il est champion de France du 100 mètres en 1917. Ses études sont extrêmement brillantes, il est Polytechnicien et Docteur en droit.
Fraichement diplomé X, Jean Albert Grégoire fait ses premières armes dans une fabrique de métiers à tisser. Dégouté par cette mécanique grossière, il part pour Madagascar afin d’y chercher du pétrole. Sa passion pour la compétition automobile le fait revenir rapidement en France. Il rêve d’épouser la carrière de Robert Benoist sur sa Delage et a une grande admiration pour deux artistes de la mécanique, deux constructeurs Alsaciens, Emile Mathis et Ettore Bugatti.
Maurice Fenaille est richissime. Après avoir créé Fenaille et Despeaux, devenu plus tard la Pétroléenne, il vend son importante affaire à la Standard de New Jersey. Il se passionne pour l'art.
Son fils, Pierre Fenaille, à 37 ans. La fortune amassée par son père ne l’oblige pas vraiment à gagner sa vie. Il se passionne cependant pour la mécanique et cherche à se singulariser.
1925 Début de l’aventure Tracta
Janvier 1925. Grégoire et Fenaille participent au rallye de Monte-Carlo sur une Amilcar.
Cette même année, Gregoire s’installe au Garage des Chantiers à Versailles ou il vend entre autres des Mathis et des Delage.
Pour satisfaire leur esprit sportif, Fenaille et Grégoire décident de construire quelques voitures de compétitions particulièrement destinées au Mans. Fenaille accepte de financer à la condition que la voiture soit différente des autres. Ce sera une traction par l’avant.
La traction avant
- 1769 Nicolas Cugnot pour son Fardier conçoit une transmission liant le moteur à vapeur à l’unique roue avant motrice et directrice.
- 28 avril 1873, Amédée Bollet dépose un brevet pour une direction par avant-train à deux pivots.
Durant le 1er quart de siècle, les tractions avant sont inexistantes. On relève toutefois quelques expériences au stade de prototypes mais rien de concret sur des voitures du commerce.
- Vers 1899, le jeune ingénieur marseillais Georges Latil construit plusieurs voiturettes
- Walter P. Christie dépose un brevet en 1903.
- 1922 Voiturette électrique AEM.et un projet allemand nommé Voran.
- La Miller Junior de 1924 prend la seconde place des Cinq Cents Miles d'Indianapolis en 1924. C’est une grande première mais il faut souligner que le circuit ovale sollicite peu la direction.
- 1924 Une firme de Coventry, Alvis, conçoit des voitures de compétition à traction avant d’inspiration Miller. La même année, Cord, présente également un prototype à roues avant motrices
La Tracta
La construction de la Tracta Gephi commence en novembre 1925 et se termine en juillet 1926.
La Gephi (Ge de Grégoire et Phi de Fenaille) est très basse, elle est plus basse qu’une Bugatti d’environ 10 centimètres. Assis au volant le conducteur peut toucher le sol de la main.
Possédant lui-même une Bugatti Brescia considérée comme la voiture avec la meilleure tenue de route du moment Grégoire a des points de repère et il estime que la tenue de route de la Tracta est supérieure à celle de la Bugatti pour plusieurs raisons : La dureté de la suspension, le centre de gravité et surtout la traction avant.
Le Joint homocinétique Tracta est breveté en décembre 1926.
11 novembre 1926 Première sortie officielle de la Tracta lors de Coupe de l’Armistice. Au cours de l’épreuve, la voiture prend feu mais Grégoire maitrise l’incendie. Dans la foulée, il parvient à prendre le départ de la course de côte de Lévis Saint Nom qui sert à départager les meilleurs. La Tracta réalise le meilleur temps.
Paris Nice – Victoire de Grégoire sur Mathis dans la catégorie 1500cm3. Victoire également pour Fenaille qui remporte sa catégorie.
26 décembre 1926, Grégoire se rend à Strasbourg. Il se rend chez Emile Mathis à la Meinau et prend possession d’une voiture pour participer au Rallye Monte-Carlo.
27 janvier 1927 Création de la Société des automobiles Tracta, détenue aux 2/3 par Maurice Fenaille et 1/3 pour J.A. Grégoire.
1927 Gregoire sur sa Tracta remporte des victoires de catégorie dans les courses de côtes de la Turbie et du Mont Saint-Agel.
18 et 19 Juin 1927. Les 24 heures du Mans
Mercredi 15 juin, Les deux Tracta sont prêtes et l’équipe s’installe à Mulsanne. Elle se compose de quatre coureurs, Pierre Fenaille, son beau frère Etienne Boussod, Roger Bourcier et JA Grégoire assistés de deux mécaniciens, Guérin et Thibeaudon. Tous les hôtels sont bondés et l’équipe loge inconfortablement chez l’habitant.
Fenaille nous suggéra d’aller passer la nuit du vendredi au Château des Châteliers au Sud d’Angers, cette proposition fût acceptée avec enthousiasme. Frais et dispos le samedi matin, nous nous apprêtions à regagner Mulsanne dans le coupé 20CV Panhard sport de Fenaille.
Une heure plus tard, après nous avoir causé bien des émotions, Boussod manquait le large virage à l’entrée d’Arnage et jetait la Panhard à cent à l’heure dans le fossé. Indemne, il aidait à sortir de l’épave Fenaille, un trou béant au front, sans connaissance, râlant pour une mort prochaine ; Boucier, se tordant de douleur avec un genou broyé, et moi asommé, couvert d’ecchymoses, mais sans blessures graves.
Un peu plus tard, les trois blessés se trouvaient à la clinique Delagenière du Mans, Fenaille toujours dans le coma, Boursier sur la table d’opération et moi pansé et couché, au repos absolu pour 48 heures.
Vers midi, je reprends mes esprits. Malgré de fortes contusions, je me sens le plein usage de la tête et des membres. Ma passion de la course - et sans doute le coup que j’ai reçu sur la tête – font naître en moi un désir qui grandit, devient irrésistible – COURIR.
Je me rhabille, sors subrepticement par la fenêtre. Vite, un taxi pour retrouver ma voiture de course. Les mécaniciens, lancés à notre recherche dans tous les hôpitaux du Mans ont disparu.
J’arrive à 14 heures au départ du circuit. Seul, Charles Faroux, directeur de la course, me demande :
- Que venez-vous faire ici, mon pauvre ami ? Vous êtes blessé et votre équipier est à l’hôpital.
C’est vrai. Ce qu’ont aperçoit de ma figure à travers les pansements est violacé. Je n’ai plus de coéquipier. Et, je le rappelle, Tracta et moi sommes totalement inconnus. De plus cette voiture possède une traction avant, solution que Faroux, comme tous les techniciens de l’époque considère comme mauvaise et dangereuse.
C’est un homme de cœur. Emu par ce malheur et ce geste téméraire, il va m’aider. Il demande pour moi un équipier par haut-parleur. Se présente un mécanicien nommé Lemesle. J’ai juste le temps, avant le départ, de lui expliquer le maniement inhabituel des vitesses.
Dans de biens mauvaises conditions, la Tracta prenait le départ d’une grande épreuve. Blessé à la figure et le corps rompu, je ne pouvais arracher de mon esprit l’image de mon ami mourant sur un lit d’hôpital. Mon coéquipier voyait la voiture pour la première fois. Le stand de ravitaillement était vide de mécaniciens et de matériel.
Tout marcha bien jusqu’à la fin du jour. A ce moment là, une pluie diluvienne s’abat sur le circuit. Lemesle pilote. Il s’arrête.
- Je ne vois pas la nuit quand il pleut
Je viens de courir pendant quatre heures. Sans hésiter, je mets mon casque et saute dans la voiture.
Sur les vingt premières heures, je tiens le volant les trois quarts du temps. Lemesle n’est pas maladroit mais il ignore les qualités de la Tracta.
Vers 21h30, samedi, la nuit tombait. J’attaquai la courbe de la Maison Blanche derrière la Bentley n°3 de Davis qui m’avait doublé à la sortie de l’S d’Arnage. Avant même de voir ce qui se passait, j’entendis soudain un freinage à mort. Les deux Th. Schneider n°11 et 12 et la Bentley n°2 d’Erlanger s’étaient enchevêtrées dans une collision et barraient la piste. Il restait à peine de la place pour passer.
Avec un rare sang-froid, Davis réussit à traverser ce mur de ferraille en y laissant une partie de sa carrosserie. Je m’engouffrai instinctivement dans l’étroit passage qu’il avait ménagé. Si je n’avais pas eu devant moi le bulldozer Bentley, je retournais à la clinique Delagenière. Et pour de bon cette fois.
Malgré le handicap de Lemesle, la Tracta a parcouru le dimanche à midi, un peu moins de 1600 kilomètres à près de 80km/h de moyenne. A ce moment, la Tracat a couvert une distance suffisante pour être qualifiée. Un des deux réservoirs d’essence est crevé et le ravitaillement en essence n’est possible que tous les 350 kilomètres. Je risque la panne sèche.
Malgré les objections des mécaniciens et de quelques amis qui ont garnis le stand, je décide d’arrêter la voiture jusqu’à la fin de la course. Les remontrances, les prières n’entament pas ma détermination. Je choisis entre Mulsanne et Arnage, un bois de pins et me couche au pied d’un arbre…
Faroux, Directeur de course, s’inquiète. Il dépêche son second, Géo Lefèvre, qui s’affole en me voyant allongé sur le sol, la figure tuméfiée toujours à moitié cachée par le bandage. Il veut appeler une ambulance. Je le rassure, lui explique que je vais bien, mais que je ne veux plus rouler jusqu’à la fin de l’épreuve. Il parlemente et obtient que je roule deux tours par heure.
La course se termine. On dut me sortir de ma voiture, me déshabiller, me coucher. Je ne pouvais plus faire un geste. Tous les membres bloqués avec une forte fièvre, je délirai toute la nuit et dus rester au lit vingt-quatre heures incapable de bouger.
Jean Albert Grégoire
50 ans d' automobile - Flammarion - 1974
Sur 22 voitures au départ, on n’en retrouvait que sept à l’arrivée. La Bentley 3L de Davis-Benjafield enlevait le classement à la distance à 98km/h de moyenne. La Tracta avait tenu 24 heures et avait prouvé la fiabilité de sa solution technique innovatrice.
Suite à l'accident du samedi matin; Pierre Fenaille sombrera dans le coma durant deux semaines. Il reprit conscience partiellement. Il se montrait à peine capable de parler et paralysé d’un côté, il ne pouvait écrire. Sa rééducation durera deux ans sans jamais qu'il puisse toutefois retrouver toutes ses facultés d’origine.
Suite à l'arrêt prolongé de Grégoire en fin de course, le règlement des 24 heures fût modifié. Les concurrents sont désormais obliger de réaliser une distance minimale par heure.
24 Heures 1927 Tracta N°20 |
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Moteur : L4 SCAP 1089 cm3 Pilotes : Jean Albert Grégoire FRA Lucien Lemesle FRA |
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Résultats : 7ème Distance 1.687km - 70,29 km/h 97 tours |
Bibliographie
50 Ans d'automobile - Jean Albert Grégoire
24 heures du Mans - Teissedre - Moity
Droits Réservés pour les photos