Pourquoi n’a-t-on pas arrêté cette maudite course ?
La réponse de l’organisation
« Les organisateurs prirent contact immédiatement avec les plus hautes autorités françaises pour demander des instructions et l’on prit la décision de poursuivre la course afin de donner la possibilité aux organisateurs de faire transporter rapidement les blessés dans les hôpitaux voisins, car une interruption immédiate de la course aurait risqué de provoquer un embouteillage des routes voisines par suite du départ brusqué d’environ 400 000 spectateurs ».
Paris-Presse approuve la décision.
Paris-Presse - La Leçon d’une catastrophe par Paul Gérin
« Pourquoi n’a-t-on pas aussitôt arrêté cette course maudite ? Pourquoi continuer à organiser des spectacles aussi périlleux pour les coureurs et le public ?
Il y avait là 250 000 personnes venues de fort loin, pour la plupart en voiture, et leur évacuation n’aurait pu être assurée sur le champ ; il fallait conserver les voies de dégagements libres pour les ambulances.
D’autre part, les autorités ne pouvaient prendre dans l’affolement une décision qui eût condamné à jamais la plus ancienne et la plus rapide des grandes épreuves automobiles. Si la France ne produit plus guère de voitures gagnantes, elle reste le terrain de prédilection des grandes compétitions internationales : Le circuit du Mans est le banc d’essai de la haute mécanique, et le drame fulgurant dont il vient d’être le témoin ne donne à personne le droit de clore le chapitre du sport automobile. ‘Business as usual’ disent les Anglais. Les dirigeants et les autorités ont eu raison de laisser la course se poursuivre. »
Le journal local, le Maine Libre se range également du côté de l'ACO, Toutefois, on peut y lire :
"Dimanche matin, la ronde infernale se poursuit. A l’endroit même de la catastrophe, les spectateurs déambulent sur ce terrain tragique que la pluie ne parvient pas à nettoyer du sang qui le rougit".
La très grande majorité des quotidiens nationaux sont extrêmement critiques.
Le Parisien Libéré
« A-t-on le droit de sacrifier tant de victimes à la vitesse ? »
L’Aurore
« Au Mans, seules les questions commerciales étaient en jeu. Il est pénible de constater qu’on n’en a pas fait litière »
L’équipe - La formule doit être revue, corrigée, adaptée - Pierre About
« De trop nombreux pilotes admis dans l’épreuve majeure étaient de très dangereux débutants que beaucoup des habitués de rallyes eussent ridiculisés »
« On avait au Mans, prévu et organisé le progrès. On s’est laissé prendre de vitesse par ce progrès dévorant. Un accident si dramatique soit-il ne peut ni ne doit stopper la marche du temps. Il place les responsables, non pas ceux d’un seul circuit mais ceux du sport automobile tout entier devant d’impétueuses réformes ».
Le Figaro
« Le progrès automobile exigera encore des sacrifices de ceux qui le servent, mais le public, à tout prix, doit être protégé »
L’Humanité
« Deux fragiles barrières entre la catastrophe et le public »
Franc-Tireur
« Quand la kermesse se change en morgue, ce carrousel qui continue à tourner ne prend-il pas l’aspect d’une danse macabre ?»
La tragédie du Mans a soulevé une émotion considérable dans toute l’Angleterre.
Daily-Sketch
« Pourquoi ? Pourquoi n’a-t-on pas arrêté cette course au massacre ? »
Daily Telegraph
« Toutes les précautions avaient-elles été prises ? Ce fût une surprise choquante d’apprendre que le course continuait »
Daily Herald
« Le circuit aurait dû être arrêtée »
Daily Express
« Les conducteurs ont peut-être le droit de risquer leur vie, mais il ne faut pas que des innocents soient encore sacrifiés »
Times
« Le prix payé pour les sensations que procurent ces épreuves et pour le progrès scientifique qu’elles représentent et favorisent, ce prix peut-être malheureusement trop élevé »
Daily Mirror
« Seuls les allemands semblent s’être comportés avec sagesse et dignité dans cette horrible affaire »
Dans leurs commentaires sur la catastrophe des vingt-quatre heures du Mans, les journaux d’Allemagne occidentale condamnaient sévèrement la décision de laisser la course s’achever.
Kölnische Rundschau
« Mettre au pilori avec indignation et horreur l’attitude des organisateurs des vingt-quatre heures qui n’ont pas songé à interrompre la course après une catastrophe qui a fait soixante-dix-sept morts et quatre-vingts blessés »….. « Nous admettons qu’il était sage de ne pas arrêter immédiatement la course pour éviter une panique parmi les deux cent cinquante mille spectateurs, mais l’arrêt aurait dû être donné au maximum un quart d’heure après l’évacuation du dernier cadavre. Les vingt-quatre heures du Mans ne sont pas seulement une course, mais aussi une fête populaire. Quelle que soit la raison de la décision des organisateurs – Préoccupations financières ou toute autre prétexte aussi peu valable – Ils ont grossièrement blessé tout sentiment humain et rendu un mauvais service à leur sport ».
Frankfurter Allgemeine Zeintung
« C’est un dernier avertissement pour le sport automobile moderne. Il est incompréhensible que la course ait été poursuivie ».
Frankfurter Rundschau
Après avoir félicité les usines Mercedes d’avoir retiré ses couleurs à la suite de la catastrophe déclare
« Les organisateurs se sont abrités derrière le règlement qui ne prévoit pas d’interruption de course. Il nous semble monstrueux de vouloir faire état d’un règlement en face de tant de morts. Bien des gens diront que ce n’est pas le règlement mais l’appât du gain »
Sueddeutsche Zeintung
« Les épreuves de vitesse du Mans sont les plus anciennes et les plus riches en tradition du monde. Elles ont pris sous tous les rapports un développement démesuré. Il est temps de se demander si toute cette fièvre n’est pas devenue un désordre public qui devrait être interdit par la loi.Si la catastrophe du Mans est la plus terrible, elle n’est certes pas la première de ce genre »