Jean-Daniel RauletLa voiture a été terminée sur la piste. Je faisais les tours un à un en repassant par les stands pour vérifier que tout se passait bien. A chaque tour j’allais de plus en plus vite et de plus en plus vite. On ne pouvait pas se lancer directement comme ça, impossible, c’était beaucoup trop dangereux. Nous avons retiré les 2 rétroviseurs, le balai d’essuie-glace et nous avons scotché les portes....

 

Jean-Daniel Raulet, comment avez-vous débuté le sport automobile ?

Par une ex-petite amie qui m’avait dit « Tu fais du rallye, mais tu ne te mesures jamais directement avec les autres. Tu mérites mieux, tu devrais faire une école de pilotage ». De mon côté, je ne connaissais pas, je n’étais pas informé et je n’avais pas d’argent.
J’ai finalement fait l’école Winfield à Magny-Cours. Tout c’est très bien passé, j’aurai dû être finaliste. Un concours de circonstances a fait que je n’ai pas pu prendre la voiture qui m’allait bien…. Encore une fois, j’étais tout seul mais ça m’a encouragé. J’ai alors revendu mon R8 Gordini pour m’acheter une monoplace, une Mep. Maurice Emile Pezous fabriquait des petites monoplaces à moteur GS, 1015cm3  cm3 qui pesait 390 kg et qui permettait des performances extraordinaires aussi bien en circuits qu’en côtes.  Je me rappelle la course de côte de Vuillafans-Echevanne à la frontière Suisse. Je me souviens avoir mis 3 ou 4 secondes à Jo Bonnier avec sa Lola T270 de l’écurie Kodak. En fin d’année j’avais terminé 2ème du Championnat de France.
J’ai ensuite revendu la Mep pour investir dans une Formule Renault, mais comme je n’avais pas de moyens, mon choix s’est porté sur une voiture d’occasion qui n’était malheureusement pas dans le coup. Je faisais des performances correctes aux essais. Je me souviens de ma toute 1ere course de Formule Renault au Castellet. Il y avait un paquet de cadors et j’avais réussi le 9ème temps des essais. C’était une performance honorable.

Les débuts ne furent pas faciles car cette formule comptait pour le Championnat d’Europe, il aurait fallu des moyens et je n’en avais pas. J’ai fait de la Formule Renault pendant 3 ans et j’avais arrêté de travailler pour me consacrer à la course. Il fallait absolument être devant pour espérer gagner un peu d’argent. Je ne vivais qu’avec les primes de courses, la voiture n’étant pas assurée, il ne fallait absolument pas que je sorte.


Comment êtes-vous arrivé au Mans. Vous êtes Manceau ?

Non non, pas du tout. Je suis né à Evron le 24 mars 1946 mais j’ai quitté la Mayenne pour Paris quand j’avais 10 ans. Je suis donc presque plus Parisien que Mayennais. Je suis arrivé au Mans par le travail car j’avais monté une affaire à Rennes et j’en avais marre de faire le trajet Paris-Rennes. Je prenais l’avion le matin pour récupérer des voitures sur Paris et je revenais par la route très tard. En passant au Mans, je me disais toujours que j’étais à mi-parcours jusqu’au jour je me suis dit que si mon affaire était au Mans, je serai plus près et que je pouvais y prendre le TGV.


Connaissiez-vous les 24 heures du Mans ?

Je n’avais jamais assisté à la course comme spectateur. Du Mans, je connaissais uniquement le Bugatti par la Formule Renault mais pas les 24 heures. En fait, on est venu me chercher. Mes résultats en Formule Renault avaient été remarqués. J’obtenais de bons résultats, je ne cassais pas de voitures et j’étais régulier. C’était de toute façon obligatoire car je n’avais pas les moyens de sortir.

C’est Xavier Mathiot qui était à l’époque Directeur sportif chez Yacco qui m’a appelé pour me demander si je voulais faire Le Mans. Pour moi, c’était un rêve de gosse et j’ai donc été invité à faire des essais un week-end sur la WM. J’ai roulé toute la journée malheureusement sous la pluie mais je me suis bien régalé. Pourtant, après 5 tours, il m’avait demandé de m’arrêter car j’étais en travers partout. Je leur ai expliqué que pour bien sentir la voiture, j’avais besoin d’en trouver les limites. Ils m’ont ensuite laisser faire et en fin de journée, ils m’ont dit ok pour Le Mans.


Ce premier essai va être le début d’une longue histoire d’amour avec WM

Effectivement, l’aventure a duré 14 ans et aurait pu durer bien davantage sans les soucis financiers de l’équipe.


Sur l’antenne de France Bleu Maine il y a peu de temps, vous avez mentionné que vous aviez réalisé une performance exceptionnelle au cours des essais des 24  Heures du Mans 1988. En dehors de quelques auditeurs Sarthois, peu de gens connaissent votre record de vitesse. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le record de vitesse avait peu d’importance pour moi. Je préférais faire la dernière course de WM avec la voiture que j’avais préparée en vue de terminer en bonne position. Pas de chance hélas en course, car la voiture a fini par bruler.
Effectivement lors des essais le mercredi soir, j’ai roulé à 416 km/h dans le cadre de l’objectif 400. J’étais le plus ancien, je faisais tous les essais de développement des voitures, j’avais toute la confiance de l’équipe car à ces vitesses-là, c’est extrêmement délicat à piloter.

La voiture a été terminée sur la piste. Je faisais les tours un à un en repassant par les stands pour vérifier que tout se passait bien. A chaque tour j’allais de plus en plus vite et de plus en plus vite. On ne pouvait pas se lancer directement comme ça, impossible, c’était beaucoup trop dangereux. Nous avons retiré les 2 rétroviseurs, le balai d’essuie-glace et nous avons scotché les portes.

 

Avez-vous monté des pneus spéciaux ?

C’était des pneus ordinaires. Nous avions complétement déchargé la voiture au niveau aéro puisque l’appui est l’ennemi de la vitesse. En configuration de course dans la ligne droite on atteignait 385 km/h avec 600 kg d’appui sur l’essieu arrière. On avait donc positionné l’aileron arrière en négatif pour que la voiture se déleste.

Les pneus qui sont en général autour de 75 degrés collent et sont une résistance au roulement. Sans appui, le pneu se dilatait et s’arrondissait par la force centrifuge et nous n’avions plus qu’une toute petite surface de contact avec la piste, environ 7,5 cm, comme un pneu de moto. Avec cette configuration, la marge d’erreur n’existe pas. Dans la ligne droite il était interdit de changer de côté sinon la voiture aurait décollée. On ne croirait pas mais la ligne droite est comme çà (en mimant un geste de tôle ondulée). En se dilatant, le développement du pneu augmente. Nous avons pu refaire les calculs. Nous avions un radar dans la ligne droite et il y avait aussi celui de l’Aco. Je prenais 6.200 tours en cinquième avec pont et boite longue ce qui représentait 416 km/h soit 115,5 mètres par seconde.

Jean-Daniel Raulet


Quel est votre meilleur souvenir au Mans ?

C’est d’avoir fait la pole lors de la première demi-séance d’essais en 1980 ou 1981. Il avait plu énormément, c’était l’année ou Jean a gagné. C’est l’un de mes meilleurs souvenirs, c’était sympa d’être devant des pointures comme Stommelen. Malheureusement la piste a ensuite séché. J’ai également gagné Le Mans en GTP. En général, quand on termine Le Mans, c’est toujours un bon souvenir.


Un jour vous décidez d’arrêter. Quel est le déclic qui conduit à stopper la compétition ?

Quand on a le cul dans un baquet remplit de flotte, que la peau sur les côtes est rappée à force de frottement au point que la douleur en devient tout simplement insupportable, que les yeux sont rouges à cause des flux d’air qui à l’origine sont conçus pour évacuer la buée…. Quand ça devient pénible, quand la douleur prend le pas sur le plaisir, il est temps d’arrêter. J’avais aussi des problèmes de vue.


J’ai entendu dire que vous étiez capable d’avaler les Hunaudières pratiquement les yeux fermés, comme Michel Vaillant.

Un jour, on pensait avoir un problème électrique. On m’a demandé si j’étais capable de rouler à pleine charge la nuit sans lumières. J’ai répondu oui, s’il faut le faire, je vais le faire.


Le repère c’est le ciel ?

Oui car même en pleine nuit le ciel illumine la ligne droite, qui est comme une tranchée dans la forêt  très sombre. Quand on regarde très loin, on est guidé par une bande de ciel gris/bleuté. L’expérience n’avait pas été plus difficile que ça.


Vous avez des coéquipiers qui vont ont marqués plus que d’autres ?

J’avais de beaucoup de bons copains… Oui, Michel Pignard. Avec Michel Pignard, on s’entendait très bien. J’ai vu passé beaucoup de pilotes. Je m’entendais bien avec tout le monde, je ne suis pas quelqu’un de compliqué.


Avez-vous des regrets ? Vous n’auriez pas souhaité conduire pour un autre constructeur ? Rejoindre Renault en 1978 ?

Rire…. Qui n’aurait pas souhaité conduire pour Porsche ? Pour Renault, C’était une époque avec des pilotes du calibre de Pironi, je ne pouvais pas prétendre à ce type de volant. Chez WM, j’étais totalement impliqué dans la préparation et dans la fabrication des voitures. Ça me plaisait énormément.

Je faisais également beaucoup de développement pour Michelin un peu partout. J’ai fait des trucs extraordinaires avec Michelin. Il m’est arrivé de passer des trains de pneus pendant toute une journée avec deux ingénieurs et un camion complet de pneus à disposition. Je faisais un tour de lancement, un tour chrono et un tour de décélération puis je m’arrêtais pour donner mes impressions. En fin de journée, les ingénieurs m’ont dit :
« D’après les informations que tu nous as communiquées, il y avait deux types de trains de pneus qui ressortent du lot. On va donc te les repasser pour que tu nous dises bien ce que tu ressens ».
Avec seulement un tour chronométré, je n’avais pas le droit à l’erreur, je ne devais absolument pas me louper. Entre les deux trains, je ne ressentais pas une grande différence mais je trouvais qu’il y en avait un qui se dégradait plus vite que l’autre, le premier était meilleur que le deuxième.
« Tu as raison. En fait ce sont les mêmes pneus mais les premiers sont de fabrication artisanale et les seconds sont de fabrication industrielle. »
Il y avait un dixième d’écart sur un tour et je l’avais ressenti. C’était une satisfaction personnelle, très grande satisfaction.

Je pense que j’ai beaucoup apporté à WM et à Michelin par ma régularité et ma précision. Sur la piste Michelin à Riom, il y avait dans la ligne droite une fosse de mesure sous la piste. Dans cette salle, il y avait des appareils de mesures, des appareils photos, des balances etc qui se déclenchaient en passant sur une toute petite pastille sur la piste qui était grosse comme la moitié de mon téléphone. Sur la WM, l’équipe collait de petits damiers qui servaient de repères sur le coté des ailes. Quand on passait sur cette fosse de mesures, ça pesait automatiquement le train avant, le train arrière et à partir des photos on mesurait la hauteur pour en déduire l’écrasement. On faisait des trous, qu’on déplaçait, qu’on rebouchait, c’était une méthode pour comprendre et mesurer les phénomènes aéros. Au niveau pilotage, Il fallait être précis et passer sur la pastille à vitesse stabilisée mais à l’époque, c’était extrêmement difficile avec nos gros turbos KKK. Le temps de réponse était phénoménal. Conduire avec ces turbos sous la flotte au Mans, c’était quelque chose. Tu rentres dans le virage sur les freins, tu lâches le frein et puis tu réaccélères de suite pour espérer avoir des chevaux à la sortie. Quand la puissance arrivait, c’était tout d’un coup, très brutalement.

 

Le phénomène était amplifié par le fait que les WM avaient peu d’appuis

Les voitures étaient toujours conçues pour aller vite. Gérard Walter était le patron du bureau de style chez Peugeot, sa passion c’était la finesse et l’aéro, il était toujours en bagarre avec Vincent Soulignac l’ingénieur châssis. Je pense que si Vincent Soulignac avait eu un peu plus d’autorité, nous aurions eu des voitures plus compétitives. On allait effectivement très vite mais en ayant un peu plus d’appuis surtout au freinage nous aurions eu de meilleures performances sur un tour.


L’équipe était bénévole, les moteurs venaient de la série. C’est difficile de lutter avec peu de moyens ?

Il y a eu une année ou nous avions bien marché. L’équipe a terminé 4ème du championnat du monde en Groupe C avec Guy Frequelin. Lors des années Esso, j’ai fait des essais 3 jours et 2 nuits au Castellet. Nous avions pu travailler sur l’endurance et la fiabilité car nous avions un peu d’argent.


Vous pilotez toujours un peu ?

Oui. La WM vendue l’an passé dans une vente aux enchères est en cours de remontage. Il ne restait que la caisse et la coque. Du côté mécanique, il n’y a rien, il faut tout refaire. On m’a donc demandé de me remettre en forme pour préparer l’objectif 400 – Rire


Notes

1966 Soutenue par Citroën et BP, la première MEP est présentée en ouverture des 24 heures du Mans 1966. Citroën va créer la "formule bleue" en 1968
1973 Jean-Daniel Raulet termine 2ème du Championnat de France de Formule Bleue à l’issue de 29 courses (15 circuits et 14 côtes)
1974 Jean-Daniel Raulet débute le jour de la 1ère victoire de Didier Pironi en Formule Renault
1976 Formule Renault 13 courses, Jean-Daniel Raulet réalise 1 pole position et 7 podiums. Il termine 3ème du Championnat remporté par un certain Alain Prost
1979 24 heures du Mans – Victoire en GTP de Jean-Daniel Raulet et Max Mamers
1982 WM termine 4ème du Championnat du monde des voitures de sport
1988 La voiture du record de Jean-Daniel Raulet est la WM no 51

Jean-Daniel Raulet

Un immense merci à Jean-Daniel Raulet (au centre) pour son amabilité, sa disponibilité, son enthousiasme et sa contribution. Un immense merci également à Jean-Luc Brémont pour l’organisation de cette Interview réalisée sur le circuit du Mans, le jeudi 20 juin 2013.

 

 

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