René Dreyfus grandit à Nice et intègre le Moto Club de Nice, qui était une sorte de ligue junior de l'Automobile Club de Nice.
Encore mineur, il obtient la signature de sa mère pour participer à sa première course avec une Mathis 6HP.
René Dreyfus
Quelle belle figure de champion. Jeune ! Il est né à Nice le 6 mai 1905.
Modeste plus qu'il ne devrait l'être.
Comment est-il venu à l’automobile ?
Il le conte sans ‘chiqué’, sans périphrase.
C'était en 1924. Un camarade lui donna l'idée de courir le circuit de Gattières. Il n'était pas majeur et ne possédait comme voiture de course qu’une petite 750 cmc…(une Mathis D 6CV) bien inoffensive avec laquelle Il se classa premier de sa catégorie... parce qu'il était seul, ajoute-t-il pour s’excuser.
La compétition l'amusait. Il acheta une ‘Brescia’ avec laquelle il courut très irrégulièrement. En 1928, Friderich (alors agent Bugatti à Nice) lui céda une voiture de champion, une belle quatre cylindres de 1.500 cmc à turbocompresseur avec laquelle il disputa quinze courses, qui lui valurent quatorze victoires.
L'année suivante, au Grand Prix de Dieppe, il inscrivit son nom en tête du palmarès. Pour sa première course en 2,3L, il gagna et la première place du classement général et la Coupe que l'Intran et Match avaient mise en compétition.
Au Grand Prix de Saint-Sébastien, et bien que ne connaissant pas le circuit, il se classait quatrième derrière Chiron, Philippe de Rothschild et Lehoux.
Très confiant et surtout très content de son ‘poulain’ Ernest Friderich n'hésita pas à lui confier pour 1930 une voiture rapide. Et c’est l’Esterel, sa première victoire de l’année, la Turbie où il abaissa de si magistrale façon le record général, et enfin le Grand Prix de Monaco qui le classe-définitivement parmi les meilleurs volants européens.
— Dites bien, me confiait-il en me quittant, combien Friderich aura été pour moi un précieux conseiller. C’est à lui que je dois tout. C’est lui le principal responsable de mes victoires !Je puise dans sa vieille expérience forte des cent cinq records qu’il s’octroyait chz Bugatti et agrémentée par tant de belles victoires, les principes qui, je l’espère, me feront triompher à nouveau.
G.Fraichard
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Avec son frère Maurice, il possédait une entreprise de papier dans laquelle René était vendeur. Il parvint à convaincre sa mère que s’il avait une Bugatti, il serait en mesure de se déplacer plus rapidement et de voir plus de clients. Sa mère est dupée et bientôt les garçons obtinrent leur première voiture de course.
14 avril 1929, Seize pilotes prennent le départ du premier Grand Prix de Monaco sur une grille tirée au sort. La course inaugurale est remportée par William Grover-Williams au volant d'une Bugatti. René Dreyfus qui s’élançait de la 12ème position termine 5ème de la course sur sa Bugatti et remporte la classe 1500cc.
7 juillet 1929, René Dreyfus sur Bugatti remporte le Grand Prix de Dieppe.
2 mars 1930, René Dreyfus sur Bugatti s’impose sur le Circuit d’Esterel Plage à St Raphaël.
6 avril 1930, Grand Prix de Monaco
Donner aux coureurs privés, le même équipement qu’aux coureurs de son écurie. Aucun grand constructeur automobile en dehors de Bugatti ne pouvait permettre de sortir de la concession et de se présenter au départ d’un Grand Prix. La firme de Molsheim permettait ainsi à ses clients amateurs de venir disputer la victoire avec des professionnels parfois engagés par la marque.
Ettore Bugatti poussait parfois la loyauté à tel point qu’il en venait à le regretter par la suite. L’exemple le plus illustre est le Grand Prix de Monaco en 1930. Cette année-là, pour la première fois, il était autorisé de courir sans co-pilote. René Dreyfus, pilote privé, eut alors l’idée de combler l’emplacement libéré par un réservoir supplémentaire contenant 30 litres de carburant et prévit également une fixation adaptée pour un ravitaillement en route.
Conscient du fait que les voitures de l’usine seraient impossibles à battre. Son raisonnement fût que le poids supplémentaire serait annulé par le gain de temps du ravitaillement en carburant.
Louis Chiron prend la tête mais dans le peloton quelque chose de tout à fait inattendu se passe. Le pilote privé René Dreyfus dans un premier temps en septième position remonte. À la fin du quinzième tour, il est troisième et à la fin du quarantième tour, il est en seconde position. La fin de la course approche et il semble que Dreyfus se contente d’une belle deuxième place bien méritée. Le réservoir de Chiron est vide et il bifurque vers la voie des stands alors que Dreyfus ouvre le robinet de son réservoir de carburant auxiliaire. Chiron revient en piste en conservant sa première position mais Dreyfus est revenu dans ses rétroviseurs. Chiron qui est victime de soucis avec l’accélérateur est obligé de s’incliner face au jeune pilote privé. Dreyfus remporte le Grand Prix de Monaco avec 21 secondes d’avance, sans avoir dû s’arrêter au box.
L’ajout d’un réservoir additionnel fût une stratégie gagnante qui lui valut le respect des professionnels de la course.
Les cinq premières places étaient certes, sans exception, toutes occupées par des modèles Bugatti, toutefois, c’est Dreyfus qui était vainqueur, devançant tous les pilotes de l’écurie d’usine Bugatti. L’écurie Bugatti avait eu l’occasion d’utiliser le nouveau moteur 2,3 litres plus puissant, mais elle y a renoncé pour des motifs de loyauté vis à vis des coureurs privés. Le vainqueur Dreyfus a, par ailleurs, utilisé d’autres types de pneumatiques et de bougies que celles préconisées par Bugatti. L’usine et ses sponsors Esso, KLG et Michelin étaient battus par un privé représentant Mobil, Champion et Dunlop. En dépit de la grande générosité et l’indulgence d’Ettore Bugatti, c’en était trop. Lorsque René Dreyfus, quelques semaines plus tard, se présenta à Molsheim, le patron ne souhaita pas le recevoir. Il fallût plus de 2 ans et demi pour que finalement, René Dreyfus intègre l’écurie d’usine Bugatti.
GP Monaco 1929. Ernest Friderich tenant la Coupe remportée par son poulain
29 juin 1930, victoire de René Dreyfus au Grand Prix de la Marne
En 1931, le jeune Français rejoint l'équipe Maserati en tant que pilote d’usine. Les voitures ne sont hélas pas compétitives et il reviendra chez Bugatti l’année suivante.
1931 1er au Grand Prix de Brignoles sur Bugatti
1932 3ème à Monaco et au GP de Belgique sur une Bugatti T51
1933 1er au Grand Prix de Nancy sur Bugatti
10 octobre 1933, la fédération internationale homologue une nouvelle formule pour les GP valable initialement pour une période de trois ans à partir de la saison 1934 (finalement prolongée d'une année et donc appliquée aussi en 1938). La nouveauté consiste, pour l'essentiel à autoriser dans les courses d'une durée minimale de 500kms, les monoplaces de cylindrée illimitée et d'un poids maximum sans les pneus de 750kg à sec (ni eau, ni huile, ni carburant). Depuis son arrivée au pouvoir moins de 10 mois auparavant Adolf Hitler a entrepris de maîtriser tous les leviers du pays et en parallèle, a choisi de se servir des événements à portée internationale comme support pour sa propagande. Les Grands Prix, temple de la technicité, en font logiquement partie et, dès lors, les firmes allemandes Mercedes et Auto Union, puissamment aidées par son gouvernement, vont monopoliser les victoires. Leur domination est telle que peu à peu les grilles de départ se réduisent et la réelle concurrence des autres nations disparaît ; Alfa Roméo, Maserati et Bugatti, avec sa type 59, ne sont au mieux que des faire-valoir.
1934 1er au Grand Prix de Belgique à Spa-Francorchamps sur Bugatti
3ème du GP de Monaco sur une T59.
3ème du Grand Prix de Suisse
1935, Dreyfus pilote pour la Scuderia Ferrari.
Victoire au Grand Prix de la Marne et victoire au Grand Prix de Dieppe sur l’Alfa Romeo de la Scuderia. Deuxième à Monaco, Deuxième au Grand Prix d’Italie avec Nuvolari sur une Alfa Romeo.
1936, il rejoint Talbot et obtient la 3ème place du Grand Prix de la Marne.
1937 Il pilote pour Maserati et remporte le Grand Prix de Florence sur la Maserati 6M
Ayant eu à piloter pour Bugatti, Maserati et Ferrari, René Dreyfus compare les organisations respectives.
« Bugatti était le Patron alors que chez Maserati c’est une ambiance familiale mais Enzo Ferrari était le Boss. Il n’y avait l’esprit de camaraderie à la Scuderia contrairement à ce qu’il y avait chez Maserati ou à Molsheim. Il n’y avait pas de fêtes après la course et il n’y avait pas l’esprit d’équipe comme chez Bugatti. Les gains des courses n’étaient pas partagés avec l’équipe. Les pilotes recevaient seulement un pourcentage de leurs primes ».
René Dreyfus intègre l’équipe Delahaye et remporte le Grand Prix de Cork
24 heures du Mans 1937
L’Ecurie Bleu de Lucy et Laury Schell engage une Delahaye pour René Dreyfus et l’Alsacien ( ?) Henri Stoffel. Les Bugatti T57 Tank étaient les grandes favorites de la course. Dreyfus comptait sur la fiabilité et l'agilité de la petite Delahaye pour espérer avoir une chance de battre l’équipe de Molsheim.
En début de course, la Delahaye pilotée par Dreyfus est aux avants postes. Lorsque René s’arrêta au stand pour céder sa place à Stoffel, l'enthousiasme de ce dernier fût tel qu'il tira la porte hors de ses gonds ! La réparation pris quelques 45 minutes et l’équipage plongea autour de la 35e place. Au prix d’un rythme de Grand Prix et non d’une course d’endurance et d’un relais continu de 10 heures au volant (en dehors des arrêts ravitaillement), Dreyfus remonta en 4ème position.
Dreyfus céda la place à Stoffel en début de matinée. Après 24 heures de course, l’équipage remontera jusqu’à la 3ème place au classement général.
31 aout 1937, La France, berceau du sport automobile, est maintenant derrière les Italiens et les Allemands. Afin de renverser la situation, le gouvernement français organise le Prix du Million afin d’encourager les constructeurs Français à construire de nouvelles voitures.
Dreyfus pilote une Delahaye spécialement préparée. La voiture doit faire 200 kilomètres à une vitesse moyenne d'au moins 146 km/h à partir d'un départ arrêté. Le pilote Niçois réalise la moyenne de 146,508 km/h.
Afin de montrer au monde sa supériorité, le gouvernement allemand finance massivement les écuries Mercedes et Auto Union. Les voitures sont hyper puissantes et surclassent la concurrence.
Les meilleurs pilotes de toutes nationalités sont incités à conduire pour les équipes allemandes sauf Dreyfus qui était de confession juive.
10 avril 1938 Grand Prix de Pau
Ce qui devait être une formalité pour l’outil de propagande Nazi se transforme en humiliation face un petit bolide bleu. La consommation de la Mercedes nécessite un ravitaillement d’un breuvage odorant à la composition secrète alors que la petite bleue réalise une course non-stop. René Dreyfus réalise un sans-faute et impose la Delahaye de l’écurie Bleue face à la surpuissante Mercedes de Caracciola et Lang. La Marseillaise récompensait un succès historique réalisé par un pilote juif devant les flèches d’argent.
24 heures du Mans 1938
L’épreuve Mancelle compte pour le Championnat de France. René Dreyfus, en tête du classement provisoire, partage la Delahaye de l’Ecurie Bleu avec Louis Chiron.
16h00, Dreyfus (Delahaye) prend la tête de la course, il est suivi par Comotti (Delahaye), Sommer (Alfa Romeo), Carrière (Talbot) et Etancelin (Talbot). Après 2 tours, Sommer s’empare de la tête de la course. Après une heure de course, le vainqueur de Pau est à 50 secondes du premier mais des problèmes mécaniques l’obligent à ralentir puis à abandonner (pression d’huile) avant d’avoir parcourus 300 km. En fin de course, c’est un triomphe pour Delahaye, puisque les 135 S terminent aux 1eres, 2èmes et 4èmes places.
En fin de saison 1938, René Dreyfus devient Champion de France
23 juillet 1939, Grand Prix d’Allemagne au Nurburgring
"Ce qui se passait en Europe était incroyable tant la situation politique évoluait vite.Certes, nous avons vu les croix gammées, nous avons entendu les chansons fascistes, nous étions ni aveugles ni sourds. Au cours de la dernière année, parce que nous étions souvent présents sur les routes pour des événements en Allemagne, nous avons pu voir les mouvements de troupes et nous pouvions sentir la mobilisation militaire. Mais, en tant que pilotes, nous étions tout simplement des Français, des Allemands, des Italiens et des Britanniques, et nous étions tous amis. Nous ne parlions pas de la guerre au Nurburgring. Néanmoins, il était évident pour moi qu’au Nurburgring, j’étais traité de manière préférentielle, par les pilotes allemands, par les fonctionnaires, et par tous".
Le pilote français avec son nom juif termine 4ème sur le sol allemand !!! Dans sa poche Dreyfus avait des papiers lui ordonnant de se présenter à son unité d’armée peu de temps après la course.
L'invasion de la Pologne par Hitler en septembre 1939 déclenche la Seconde Guerre mondiale. René Dreyfus rejoint l’armée française comme chauffeur de camion
1940 L’armée française lui accorde une permission afin de participer aux 500 miles d’Indianapolis.
Lucy O’Reilly Schell expédie deux Maserati 8CTF pour lui et René Le Bègue. L’équipe maitrise très mal le règlement. Dreyfus et Le Bègue sortent de la réunion des pilotes sans avoir compris un mot.
Dreyfus casse une bielle aux essais. Pour la course, il partage le volant de la seconde Maserati avec Le Bègue qui s’est qualifié sur la dernière ligne. L’équipage termine 10ème après de multiples surprises dues à leur méconnaissance totale du règlement, des courses sur speedway et de la langue.
Les Allemands occupent Paris et les juifs, surtout s’ils ont humilié quelques mois plus tôt les bolides allemands sur la piste sont des cibles privilégiées. Le gouvernement français l’informe de ne pas revenir en France. Il s’installe à New York et ouvre un restaurant français, «Le Gourmet».
1942 Les Etats-Unis entrent en guerre et Dreyfus est enrôlé dans l'armée américaine. Il intervient en Europe durant la campagne d'Italie 1943 comme interprète.
1945 Après la guerre, le pilote Niçois devient citoyen américain et avec son frère Maurice ouvre un second restaurant au 49 Madison Avenue à Manhattan"Le Chanteclair". Le lieu devient le quartier général de la communauté du sport automobile et accueillera toutes les gloires y compris Rudi Caracciola. Peu de temps après la guerre, un convive l’interpella avec un accent allemand, c’était Alfred Neubauer, le légendaire manager de l'équipe de Mercedes, et, ensemble, ils échangèrent de longues heures durant sur le sport automobile.
Dreyfus continua de courir de façon sporadique
1952 Les 24 heures du Mans
René Dreyfus reprend la compétition le temps d’un week-end sur la Ferrari de son ami Pierre Louis-Dreyfus. La voiture est la même que celle engagée l'année précédente en dehors d'un bandeau vert et jaune lumineux à l’avant de la Ferrari. La 340 America est puissante et le poids concentré sur l'avant exige une bonne condition physique.
Heldé (Pierre Louis-Dreyfus) prend le départ et positionne sa Ferrari à la 15ème place à la fin de la première heure. Au cours de la 4ème heure, l’embrayage commence à montrer des signes de fatigue.
19h31, l’équipage abandonne. La même défaillance avait déjà conduit Heldé et cette même Ferrari à abandonner en 1951.
Meilleur tour lors du 40ème passage en 4’53’’3
René Dreyfus dispute sa dernière course aux 12 heures de Sebring 1955.
1980, René Dreyfus est invité lors du Grand Prix de Monaco pour y célébrer le 50e anniversaire de sa victoire. Lors de la cérémonie d’après course se trouvaient sur scène deux voitures, une Bugatti de 1930 et la Williams qui venait de triompher. Le maître de cérémonie, Jackie Stewart invita René Dreyfus et le vainqueur du jour, Carlos Reutemann. À 75 ans, il monta sur scène pour s’installer une fois de plus dans le Bugatti avec laquelle il avait gagné un demi-siècle plus tôt.