Si Bo Stefan Eriksson avait crashé une Porsche GT2, ou même une Lamborghini Gallardo, au lieu d'une Ferrari d’une valeur à sept chiffres, il n'aurait pas attiré l'attention du monde entier.
S'il avait roulé à 150 km/h au lieu de 320 km/h, il est peu probable que l'accident aurait même effleuré les faits divers des journaux locaux de Los Angeles. La personnalité exubérante de Bo Stefan Eriksson qui a été à l'origine de son succès volcanique l’a totalement aveuglé et l’a poussé à un tel niveau d'absurdité qu’il devait imploser.
Délinquance Mafia et poudre blanche
Bo Stefan Eriksson est connu de la police suédoise sous le nom de Tjock-Steffe ("Gros Steve") ou de "The Banker" (le banquier) par la mafia locale d'Uppsala, la quatrième ville de Suède, située à environ 60 km au nord de Stockholm.
Il fait du motocross à l'âge de douze ans et participe à des courses depuis l'âge de 18 ans. Pour gagner sa vie, il est ouvrier dans un atelier de carrosserie mais il bifurque vers la délinquance.
Au début des années 90, Eriksson devient le chef d'un groupe que la presse suédoise surnomme Uppsalamaffian (la "mafia d'Uppsala" ou "la pègre d'Uppsala »), responsable de crimes violents et très médiatisés, jusqu'alors rarement vus dans le pays. Connu pour être un playboy, il s’exhibe sur son hors-bord de 1 200 chevaux capable d’atteindre plus de 100 km/h.
En 1993, les motifs d’accusation sont multiples, contrefaçon, fraude, extorsion de fond, drogue, Eriksson est condamné à dix ans de prison, mais il n'en purgera que la moitié.
Eriksson est un amateur d’automobile, de belles automobiles.
Il débute la compétition en 2001 en disputant le championnat suédois de tourisme sur une BMW. En 2002, il dispute le même championnat avant de s’orienter en 2005 vers le championnat FIA/GT sur une Modena du l’équipe Cirtek.
Directeur Europe de Gizmondo
En 2001, Eriksson rejoint la filiale britannique de Tiger Telematics au poste de Directeur Europe. Il a en charge ‘GameTrac’ qui est un projet de console de jeux révolutionnaire. L’objectif est de rivaliser avec Nintendo et Sony sur le marché des jeux vidéo portables. L’entreprise est dirigée par son ami Carl Freer qui a un passé de receleur de voitures de luxes volées….
En fait, la raison officielle pour laquelle la société mère Tiger Telmatics, a initialement engagé Eriksson, était de fournir à l'entreprise des contacts de haut niveau dans le domaine de la course automobile. Ce qu'Eriksson a fait, dans une certaine mesure, en obtenant le parrainage de l'équipe Jordan Grand Prix.
Le communiqué de Jordan F1 / Juillet 2003
Un contrat est signé entre Tiger Telematics et Jordan pour un accord de parrainage sous la marque Gametrac. Le contrat est signé pour Silverstone et pour l'intégralité de la saison 2004. Gametrac est un petit appareil offrant une capacité de texte SMS, des jeux passionnants et un suivi GPS destiné aux enfants de tous âges. Tiger Telematics est un concepteur, développeur et distributeur de systèmes et de services télématiques mobiles qui combinent la technologie de positionnement mondial et de reconnaissance vocale pour localiser et suivre les véhicules et les personnes jusqu'au niveau de la rue à travers le monde.
En tant que sponsor officiel, Jordan a placé l'une de ses voitures de course dans le hall du siège social de Gizmondo Europe, juste à côté de la piste d'atterrissage de Farnborough, à 45 minutes à peine de Londres. Alors que la plupart des entreprises se contenteraient d'une sculpture moderne ou d'une peinture impressionniste, Gizmondo a préféré placer une Formule 1 jaune canari d'une valeur de 6 millions de dollars dans son hall d'entrée aux murs de verre, pour que tout le monde puisse la contempler.
La présentation de la console ‘GameTrac’ est faite lors de l’E3 2004.
Sur le papier, la console semble être un produit ambitieux. C’est une console de jeux, un PDA, un GPS et un appareil photo tout en un.
Juillet 2004, l’écurie de d’Eddie Jordan déchante. "En juillet 2003, Tiger Telematics a conclu un accord de sponsoring pour les Grand Prix 2003 et 2004, mais ils sont revenus sur cet accord", a déclaré une porte-parole de l'équipe. Selon Jordan, "l'affaire est en train d'être résolue par une procédure judiciaire".
Effectivement, lorsque les actions de Tiger Telematics se sont effondrées et qu'ils n'ont jamais payé leur facture de sponsoring à Jordan, l'équipe de F1 les a poursuivis en justice pour près de 3 millions de dollars pour rupture de contrat. Tiger Telematics cèdera des actions à Jordan et un petit chèque à Jordan. À la suite de cela, la « GameTrac » fut renommée « Gizmondo ».
Eriksson utilise tous les moyens pour attirer les capitaux y compris Isis Models, une agence de mannequins prospère rachetée par Gizmondo. Les escorts girls avaient pour mission de charmer les investisseurs potentiels, car le véritable objectif de Gizmondo est de soutirer un maximum d'argent.
Mannequins, supercars, montres suisses, diamants, drogue, actions, stars, fêtes, concerts … c’est l’orgie.
La console Gizmondo est lancée en Europe le 19 mars 2005 et reçoit un accueil critique glacial. Les principaux reproches portent sur le manque de jeux intéressants, une jouabilité médiocre, un design fragile et un prix exorbitant de 400 dollars contre 249 dollars pour la PSP de Sony.
24 heures du Mans 2005
Juin 2005. Afin de promouvoir le produit, Eriksson participe aux 24 heures du Mans 2005. Il arrive au Mans dans une Ferrari Enzo grise et dispute la course dans la Ferrari 360 Modena n°92 de l’équipe Cirtek sponsorisée par Gizmondo. Il abandonne au cours de la matinée après avoir perdu une roue.
Lorsque Gizmondo a finalement fait faillite, c'est au liquidateur judiciaire britannique Begbies Traynor qu'est revenue la tâche de remonter la piste de l'argent qui s'évaporait - 11,1 millions de dollars en 2002, 8 millions de dollars en 2003, 99 millions de dollars en 2004 et 210 millions de dollars au cours des six premiers mois de l'année 2005. Il a fallu des années pour démêler le labyrinthe byzantin des tours de passe-passe et des sociétés fictives.
Moins de 25 000 exemplaires de la console sont vendues dans le monde, cet épisode est considéré comme l'un des plus grands échecs dans le domaine des jeux vidéo.
21 février 2006, le dernier ride
"Il faut être vraiment stupide pour écraser une voiture d'un million de dollars que l'on conduit à 320 km/h, totalement ivre, avec une arme, de la cocaïne, des documents que l'on n'est pas censé avoir, un badge de police que l'on n'est pas censé avoir, sans être un citoyen américain, sans visa et avec un casier judiciaire !!! Ces types étaient tellement stupides qu'ils pensaient pouvoir s'en sortir avec tout ça", se moque un témoin avec incrédulité. " Et le pire, c'est qu'ils ont tout filmé, toute la nuit de course. A quel point faut-il être stupide ?"
La vidéo !!!
Depuis l'intérieur d'une voiture, une horloge indique 5h39 sur le tableau de bord lumineux. Le compteur kilométrique affiche 2220 miles (3572 km) et la voiture se faufile sur la route côtière dans le noir de la nuit à 153 miles/h (246 km/h). Le réservoir d'essence est plein. Le conducteur passe la cinquième vitesse et le cheval galopant de Maranello est luminescent derrière le compteur de vitesse. Nous sommes dans une Ferrari Enzo.
"Doucement pendant quelques minutes, il y a toujours beaucoup de policiers dans le coin", prévient une voix irlandaise alors que le bolide passe en trombe devant le Surf Hôtel et une Mazda Miata argentée. Le conducteur se calme une trentaine de secondes avant d'appuyer sur la pédale et de remonter la colline en direction de l'université de Pepperdine. Le vent hurle de plus en plus fort. La main du passager fait des mouvements vers la gauche comme un navigateur de rallye, tandis qu'un monospace tente désespérément de s'écarter à temps.
"Putain de merde, nous sommes à au moins 200 [mph] (321 km/h) !", crie-t-il.
L'Enzo remonte la Pacific Coast Highway et entre dans le village de Malibu.
Soudain, il y a un trou dans le film qui donne la chair de poule. Une brève apparition d'un fantôme. Nous rembobinons le film et le repassons image par image, pour saisir un plan d'une seconde de ce qui semble être Stefan Eriksson. La personne dans le cadre est énorme, si grande qu'elle est pliée dans la Ferrari, recroquevillée, le crâne écrasé contre la garniture de toit. Il porte un maillot de corps thermique gris, avec des coutures rouges. Ses cheveux sont courts, presque coupés à ras. Autour de son cou, sa fameuse chaîne en or, pas un collier, bien sûr, mais une vraie chaîne en or, comme celles qu'on utilise pour cadenasser les vélos dans les quartiers malfamés.
Alors que l'horloge affiche 6h04, la voiture s’engage sur un tronçon beaucoup plus calme. Le matin s'est levé et le ciel est d'un violet profond. Dans la lumière, des silhouettes de palmiers se dessinent de part et d'autre de la route. L'énorme V12 de 6,0 litres hurle bruyamment derrière le siège du caméraman, et le compteur de vitesse grimpe à une vitesse effrayante : 185, 190, 196...MPH
Puis la caméra se concentre sur l'avant, tandis que le moteur tourne plus vite et monte en régime. L'Enzo doit rouler à au moins 200 mph (320 km/h) et s'approche d'une camionnette grise sur leur droite ; ils la dépassent comme si elle était garée.
De petites bosses inquiétantes sur la route secouent violemment la caméra, prémonitions de ce qui va suivre. On se croirait dans une scène d'un film d'horreur. Stefan Eriksson fonce avec les phares allumés en permanence, égoïste et égocentrique jusqu'à la fin.
"Il s'agit d'une zone où l'on peut rouler à 35 km/h. J'ai été arrêté alors que je roulais à 120 km/h. Je n'ai jamais été poursuivi en justice pour cela ! Et je ne suis jamais allé au tribunal pour cela", s'amuse le passager Irlandais. "C'est comme ça que ça a marché pour moi", affirme-t-il avec suffisance, totalement inconscient du danger vers laquelle la Ferrari rouge sang est en train de voler.
Moins de 90 secondes avant le désastre total, il y a quelque chose d'inconfortablement pervers à visionner la bande image par image, quelque chose de voyeuriste morbide à regarder ces deux-là foncer vers leur perte.
Le châssis de la Ferrari tremble, vibrant de vitesse, dangereux et déséquilibré. En arrière-plan, on entend des rires joyeux, les rires nerveux d'hommes qui ne s'amusent pas fiévreusement, mais qui essaient plutôt de donner du courage à leurs cœurs trépidants. Jusqu'à la fin, ils étaient convaincus qu'ils allaient s'en tirer, qu'ils allaient s'en tirer avec tout - les vitesses mortelles, les détournements de fonds, les extorsions, la drogue, les femmes, le monde.
L’Enzo tranche comme un sabre la sombre route côtière, le long des collines perdues de Malibu.
Même à 200 milles à l’heure, l’élégante machine italienne trouve toujours le jus nécessaire pour accélérer encore et encore. Même en vidéo, vous pouvez ressentir les forces G dans vos tripes. Même en connaissant la suite prévisible, vous ressentez leur sentiment d’invulnérabilité, la confiance totale.
Quand soudain, le flash d’un éclair foudroyant dans un bruit sourd paralyse le sternum, un flou. Des images statiques et le silence annoncent la fin du ride. Tout est fini maintenant. Et vous vous dites qu’il est impossible que quelqu’un puisse s’en sortir. Mais si bien sûr, ils l’ont fait.
A l’aube du 21 février 2006, sur la Pacific Coast Highway en Californie, Eriksson au volant d’une Ferrari Enzo de 1 000 000 USD heurte de plein fouet un poteau électrique. Le bolide rouge est coupé en deux, Eriksson s'en sort miraculeusement indemne.
Une enquête plus approfondie a montré que la voiture, ainsi qu'une deuxième Ferrari Enzo noire immatriculée à Manchester et une Mercedes McLaren SLR, avaient été introduites aux États-Unis illégalement et à l'insu de la Bank of Scotland et de la Lombard and Yorkshire Bank qui les avaient louées à Gizmondo. Les paiements de location à la Scotland's Capital Bank avaient cessé après l'exportation, la Mercedes avait même été déclarée volée en Grande-Bretagne !!!
Début avril 2006, les shérifs, le FBI et Interpol font une descente au domicile d'Eriksson à Bel Air. Eriksson, qui s'apprêtait à quitter les États-Unis est arrêté pour détournement de fonds, vol de voiture, conduite en état d'ivresse, possession de cocaïne et d'armes. Il risque initialement jusqu'à 14 ans de prison mais il purgera finalement une peine négociée de trois ans d'emprisonnement avant une expulsion vers la Suède.
Le 30 mars 2009, Eriksson est arrêté à Stockholm pour extorsion, agression aggravée et vol aggravé.
Le 10 juillet 2009, Eriksson est reconnu coupable et condamné à 18 mois dans une prison de haute sécurité.
Bibliographie
www.thedrive.com/news/2559/the-weird-wild-saga-of-gizmondo-part-1
https://kit.se/arkiv/2015/04/21/1502/tjock-steffe/