Un accident, une demi-heure avant la fin de l'épreuve faillit me faire abandonner. Comme deux ans plus tôt, l'équipe Tracta vécut un drame. Cette fois encore j'étais au volant.
Pendant la dernière heure, une pluie fine commence à tomber sur Arnage et mouille le goudron de la piste liquéfiée par la chaleur et le roulement. La route devient glissante sans que les conducteurs s'en doutent. Je prends l'S d'Arnage à la vitesse habituelle. Ma tracta dérape, fait un double tête-à-queue et se retrouve dans le fossé, les roues arrière enfoncées jusqu'aux moyeux dans la terre et les roues avants ne touchant plus le sol. Je descends. Aile arrachée, roue tordue, mais la voiture doit encore rouler? Je remets le moteur en route. Malheureusement, les roues avant n'entrainent plus.
Désespoir ! Une course gagnée perdue à quelques minutes de la fin.
Dans l'impossibilité de me sortir de mes seules mains de cette facheuse position, je demande aux commissaires qui me regardent avec sympathie de me pousser sur la route. Ils me rappellent que, s'ils touchent à ma voiture, elle est immédiatement mise hors course. "Ne vous avouez pas vaincu !" me conseillent-ils.
Des milliers de personnes, dont toute la population de Laigné-en-Belin (le village de notre quartier général), sont massées dans ces virages, l'un des points d'attraction du circuit. Je constate qu'il plane sur cette foule un silence total coupé seulement par le rare passage des survivants.
J'aperçois tout à coup à dix mètres de moi, une pelle que je n'avais pas vue tout à l'heure. La Providence ?
Je m'empare de l'outil et me transforme fébrilement en terrassier. Puis je roule sous les roues avant un morceau de palissade qui n'était pas là non plus. Encore la Providence ?
Après quelques tentatives, je réussis à sortir du fossé. La foule qui a vécu mon drame avec intensité pousse un cri de soulagement. Ne suis-je pas l'un des deux français encore en course ? Je me dirige à petite allure vers les tribunes et j'attends que Faroux agite le drapeau de la fin pour franchir la ligne d'arrivée. Ma voiture ne serait plus capable d'accomplir un tour complet.
J.A. Grégoire - 50 ans d'automobile
Les Tracta terminèrent aux deux premières places de la catégorie 751-1100 cm3 des 24h du Mans 1929