Quel plaisir cette rencontre avec Hugues Kirschhoffer, à qui nous voulions offrir un exemplaire d'Un Siècle de Pilotes au Mans. Ce fût un plaisir d’échanger et d’écouter ses nombreuses anecdotes. Il a fait 5 fois Le Mans entre 1974 et 1979 (la Toj ne s'est pas qualifiée en 1978), une période où les amateurs pouvaient facilement courir les 24 heures selon Hugues, qui se considère comme tel.
J’ai perdu ma mère à 13 ans. J’ai été adopté et j’ai donc accolé le nom de ma deuxième maman après le mien, mon identité complète est donc Hugues Kirschhoffer-Keller. Je n’utilisais pas le nom complet sur les voitures car vu la longueur, il aurait fallu la portière entière et peut-être même l’aile pour y inscrire le nom dans sa totalité…. Rire
Je n’ai pas fait d’école de pilotage ou de karting. J’ai démarré la compétition en 1962 sur une Renault. J’ai roulé sur beaucoup de voitures différentes, la Fiat, l’Alfa, la Matra Jet, la Gordini, l’Alpine, les Porsche, la Tecno et la TOJ.
Les débuts en compétition
J’ai démarré par des petits slaloms, des courses de côte puis des rallyes.
Mon coéquipier s’appelait Philippe Rebulet. Il est malheureusement décédé le 6 novembre 1988 lors d’une course de hors-bord sur la Seine à Rouen. Son bateau est entré en collision avec celui d'un concurrent néerlandais.
J’étais un modeste commerçant à l’époque. J’avais 3 boutiques au centre de Strasbourg. Un magasin de disques rue du Maire Kuss, un magasin de meubles à proximité et un magasin de télévisions, rue du Faubourg National. J’avais quelques fidèles sponsors et grâce à eux, la compétition ne me coutait rien. Un petit coup de fil à Dual, Philips, Sony ou Grundig à qui je proposais une aile, une porte ou un capot et ça se passait comme ça.
J’avais pu obtenir un contrat avec un concessionnaire Renault de Lorraine. J’ai reçu une Alpine neuve, une 1600 S jaune. J’avais fait modifier l’empattement avant par un spécialiste du Haut-Rhin. La voiture restait à Sarrebourg pour l’entretien. A la fin de la saison, je redonnai la voiture et j’en recevais une autre, toujours jaune. Les autres concurrents avaient des Alpines bleues, les miennes étaient jaunes, je ne choisissais pas la couleur.
J’étais membre de l’écurie Lorraine et également dans le Team de Monsieur Arnold. Je vous conseille de lire ‘le nerf de la course’ pour découvrir tout ce qu’il a fait. Marcel Arnold était un Monsieur, un grand Monsieur. Son écurie, c’est une histoire totalement incroyable. A partir de rien, un vendeur de meubles de Phalsbourg, qui est une petite ville de Lorraine ou il n’y a rien, à réussit à créer une écurie de course, d’y faire venir Beltoise, Rega, Jaussaud, José Dolhem, Francis Stalter, jacques Henry et Jarier et surtout de gravir tous les échelons et de gagner au plus haut niveau !!!
Jarier !!!! Un jour à Chamblay, Monsieur Arnold m’avait demandé de lui prêter l’Alpine. Oh là là !!! Ce qu’il arrivait à faire avec !!! Je me suis dit, c’est foutu, je ne la reverrai plus. Mon Alpine, j’avais fait une croix dessus !!! Il passait sur 2 roues, un pilote incroyable, un des meilleurs pilotes que j’ai croisé dans toute ma vie, un fou. « Mais c’est bon j’te dis » une formule pour me rassurer qu’il a prononcé un nombre de fois incalculable. Mon pote Jaku (Jean-Daniel Jakubowski) utilisait souvent la même formule !!!
Je n’avais pas de camion, je me rendais sur les courses avec l’Alpine. C’était une petite voiture ou il n’y avait pas de place. J’embarquais mes roues pour la course et je m’y rendais avec ‘des roues de vélo’ pour ne pas user les bonnes gommes inutilement.
Lors du slalom de Saint Mihiel, dans la Meuse près du Lac de Madine, j’ai gagné la course. Pour une fois, le premier prix n’était pas un chèque mais une oie !!! Une oie exceptionnelle qui avait plusieurs prix dont celui de Championne du Monde, le maire m’a remis l’oie vivante et il fallait donc que je la ramène !!! L’Alpine était toute petite et avec 4 roues à loger, tu vois la place qu’il te reste, mais ou mettre l’oie ?? Je n’avais qu’une seule solution, j’ai mis l’oie dans le petit coffre avant avec la tête qui dépassait pour qu’elle respire. 245 kilomètres !!! 245 km avec la tête dehors !!! Elle a dû avoir la peur de sa vie car on ne roulait pas comme aujourd’hui, surtout avec l’Alpine !!! L’oie a tenu le coup et je l’ai ensuite donné à un paysan du village.
J’ai un souvenir un peu spécial avec l’Alpine. Lors de la course de côte d’Abreschviller, il y avait une tribune présidentielle. Pierre Messmer alors 1er Ministre était présent et pour cette raison il y avait une quantité impressionnante de forces de l’ordre. En dehors de l’épingle après la longue droite du départ, il y a peu de difficulté dans cette côte. J’arrive dans l’épingle que je passe en glisse et l’arrière heurte malheureusement un extincteur qui était posé au sol, l’extincteur est parti en direction d’un gendarme qui l’a reçu violemment dans le ventre. Il avait été gravement blessé.
C’est avec l’Alpine que j’ai commencé à faire du circuit.
J’ai fait connaissance d’Hubert Striebig lors des épreuves régionales, peut-être lors de la course de côte de Wissembourg, on est très vite devenu copains.
Je n’ai eu qu’un seul accident grave
C’était à Wissembourg le 4 juin 1972, il faisait très chaud, La Porsche 906 vibrait vraiment beaucoup. Je me suis installé et j’ai dit au mécano de scotcher les portières. Je suis malheureusement sorti de la route. La voiture s’est immédiatement embrassée. L’extincteur qui aurait dû fonctionner était parti dans le fossé, et je me suis retrouvé prisonnier des flammes et avec ce scotch, j’ai eu beaucoup de difficulté à sortir. La voiture a brulé comme une boite d’allumettes et j’étais brulé au 3ème degré. Je n’avais pas de gants, mes mains et une partie du visage étaient gravement brulées…. J’ai fait un mois d’hôpital, ils m’ont pris de la peau sur les fesses pour réparer les plaies. C’est mon seul accident grave en compétition. En avril 1971, à Murs près de Carpentras, suite à un problème de batterie, la 910 Bergspyder de Marcel Petitjean avait connu une fin similaire.
J’étais dans le Team de Marcel Arnold et j’ai pu avoir un châssis Tecno F2, je pense à l’ancienne voiture de Jaussaud ou peut-être celle de Jarier, mais je ne suis pas totalement certain. J’ai acheté un moteur BMW 2L préparé par Schnitzer. J’ai fait quelques côtes avec, c’était une bombe. Je n’ai fait que de la côte avec la F2, elle n’était plus homologuée pour les circuits.
En sport auto, l’Alsace était vraiment bien représentée avec Striebig, Thiry, Godichard, Francis Stalter, Jaku et surtout Bob Wollek. Nous formions une vraie famille.
Bob était de loin le numéro 1. Un garçon vraiment sympa, grand pilote, qui ne méritait pas de partir comme ça.
Francis Stalter était un super copain de Sélestat. Il avait été champion de ski, très bon copain de Jean-Claude Killy. C’était un très bon pilote avec un super coup de volant. Beau comme Alain Delon, il plaisait beaucoup aux femmes. Et sa femme !!! Tous ceux qui l’on vu s’en souviennent, elle ne laissait personne indifférent, elle ressemblait comme deux gouttes d’eau à Michèle Morgan, c’était vraiment une très belle femme.
Jaku !!! Quel bon vivant !!! Que de rigolades avec mon pote Jaku (Jean-Daniel Jakubowski) !!! Avec Jean-Daniel, on faisait des concours de tartes flambées à Pfulgriesheim. Le record, c’est sept tartes !!! Et ce n’était pas les petites tartes fines que l’on trouve aujourd’hui, c’était de la vraie pate épaisse. On pliait en 4 et on dévorait …. Des paris à la con, on était malades mais qu’est-ce qu’on rigolait !!!
Du côté lorrain ou du côté de Vesoul, il y avait aussi de bons pilotes que l’on retrouvait dans les courses locales comme Christian Poirot, Schlesser, Greder ou Jacques Henry, avec des voitures très bien préparées.
Il y avait aussi les mécanos, Alfred Hahn s’occupait de ma voiture et de celle d’Hubert, Jean-Claude Baethge de celle de Dédé, Dominique Thiry avait un mécano de la Robertsau, mais j’ai oublié son nom. Ils étaient très doués et ne comptaient pas les heures, tous étaient bénévoles, chapeau bas. Il y avait une vraie convivialité entre nous. On se retrouvait souvent le dimanche soir pour des cotes de bœuf frites mémorables, nous avions des petits moyens mais il y avait une vraie ambiance.
Hugues sera Président de la section Rhin de l’écurie Lorraine puis Président de la section auto du club omnisport Racing Pierrot Strasbourg Meinau (RPSM)
Quand le Film ‘Le Mans’ de McQueen est sorti à Stras, le cinéma avait demandé à Hubert de faire une petite mise en scène en exposant sa Porsche devant le cinéma. Les Strasbourgeois étaient venus nombreux. Jeunes et moins jeunes s’intéressaient à l’automobile et au sport automobile, c’était une autre époque. En dehors de Loeb aujourd’hui, on ne retrouve plus cet engouement.
Le Mans, c’était l’évènement, le graal, le rêve de tout pilote. On pouvait être au départ à la condition de terminer dans les 5 premiers du Championnat de France des circuits.
Ce fût alors l’époque des Porsche, Porsche Carrera Groupe 3 puis groupe 4 préparées par Louis Meznarie.
Avec Hubert, on se partageait une Porsche puis nous en avons eu une chacun. Hubert avait plus de moyens, il avait un camion. A l’époque quand nous arrivions à Albi, Nogaro ou au Castelet, avec nos accents alsaciens, on nous prenait pour des allemands. On avait un métier, on prenait la route le vendredi soir après le boulot et on arrivait sur les circuits alors que les essais étaient souvent entamés ou même terminés.
2h de l’ACO 1974
Lors des 2h. Nous avions l’obligation d’embarquer un jerrican et de ravitailler.
L’enjeu était important car il y avait un gros chèque pour le vainqueur. J’avais eu des échos d’une possible magouille car à priori le 1er ne s’était pas arrêté et ça a été confirmé. J’ai finalement gagné le Groupe 3.
En terminant dans les 5 premiers du Championnat de France, j’ai pu atteindre le graal, c’est-à-dire pouvoir participer aux 24 heures du Mans.
24h du Mans 1974
(Hugues Kirschhoffer-Alfred Hahn-Hubert Striebig-Louis Meznarie)
On est arrivé en camion le mardi et on a loué une caravane pourrie pour pouvoir se poser un peu pendant la semaine.
La première année avec la Porsche dorée.
Hubert est sorti, un peu comme au rugby. Il a décollé sur le talus, il est passé entre les 2 grands arbres, la voiture s’est ensuite posée bien à plat avec les roues écartelées, le châssis n’avait rien. Hubert a été très très chanceux ce jour-là et miraculeusement aucun bobo pour lui.
La course de la Porsche Meznarie aux 24h du Mans 1974 en détail
Un peu d’aviation
Je m’étais marié à Las Vegas et j’avais vu une pub dans un journal local sur une formation de pilote d’avion à San Diego pour un prix dérisoire. J’ai fait mon brevet de pilotes d’avion tardivement et j’ai côtoyé Dédé Haller plus régulièrement à ce moment-là, car il avait un avion. Dédé Haller avait son bar au-dessus du resto d’Yvonne, son bar n’ouvrait que l’après-midi et il venait souvent au magasin le matin pour prendre un café et taper la discute. Il garait la Ferrari ou la Mercedes avec les portes papillons un peu en vrac, en double file ou sur le trottoir, ça ne passait pas inaperçu.
24h du Mans 1976
On courait avec Charlotte Verney. Charlotte était une pilote exceptionnelle, elle était locale et allait plus vite que nous. C’était une belle femme, une poupée, c’était la vedette de l’équipe. Elle attirait les journalistes, c’était bon pour nous.
Un deuxième radiateur d’huile avait été monté sur la Porsche. La conduite d’huile passait dans l’arceau de l’arrière vers l’avant mais il y avait une fuite au niveau d’une soudure. Ça ‘Schpritzait’ (éclaboussait) de l’huile bouillante dans l’habitacle et sur le pare-brise. Charlotte annonce à la radio, « J’arrive dans un tour et demi, je rentre et j’abandonne, je n’en peux plus. Démerdez-vous ! » Je m’étais assoupi dans la caravane et c’était mon tour pour les 2 relais suivants. Hubert arrive dans la caravane, me réveille et me donne 2 Ricard secs à boire sur le champs « Tu prends ça, tu vas en avoir besoin. Tu mets ton casque et tu y vas ». Ce n’était vraiment pas dans nos habitudes pendant la course, mais c’est vrai que ça évite d’avoir à trop réfléchir. Ça parait totalement incroyable, mais je vous assure que c’est vrai.
Une famille Alsacienne au Mans
Il y avait beaucoup de commissaires Alsaciens. Il y avait même une cigogne à l’intérieur du virage d’Arnage.
C’était une époque formidable. Bernard Delattre des DNA et Christian Daniel de FR3 passaient la semaine du Mans avec nous, ils dormaient même avec nous. Des pros qui connaissaient tout sur la course, qui faisaient des reportages tous les jours. J’étais un peu le chouchou, on s’entendait super bien. On était tous des potes, c’était la famille, on passait même le nouvel an ensemble. Christian Daniel et Jaku…. C’était….plus que des bons vivants. Les parties de rigolades que l’on a pu avoir ensemble, incroyable.
On avait nos repères. Les Aviats, chez Yvonne, mais aussi Le Chalet avec le carré VIP !!! Cookie Dingler, Alain Baschung, Herbert Léonard, Christian Daniel, Bernard Delattre….. Le Racing, les loges, Daniel Hechter…. pour des soirées inoubliables, c’était vraiment de belles années !!!
Adolphe Conrath n’était jamais loin….. Il était partout. Après chaque week-end, il m’envoyait un petit livret avec les photos de ma course du week-end. J’envoyais un petit chèque dans la foulée. Tous ces déplacements lui coutaient cher, il n’avait pas beaucoup de moyen. Il faisait toutes les courses, jusqu’à la distribution des prix. Je n’ai malheureusement pas pu conserver toutes mes photos et j’ai dû laisser toutes mes coupes, environ 300 dans une autre vie…. Beaucoup étaient en étain, qui maintenant au prix de l’étain couteraient une petite fortune, mais j’ai tout laissé chez mon ex épouse à Innenheim.
Les années TOJ
Ça allait plus vite, surtout quand tu arrives à Mulsanne, faut pas te louper.
Après 79, j’ai fait encore quelques courses. Au fil des années, c’est devenu de plus en plus dur, il fallait de nouvelles voitures qui coutaient toujours plus chères. J’arrivais à vendre mes anciennes voitures mais ça ne suffisait plus et puis je vieillissais aussi.
Les participations d'Hugues Kirschhoffer aux 24 heures du Mans
Un immense merci à Hugues Kirschhoffer
